Etranger - Après le Non, Oui au redressement socio-économique

Il est évident que le rejet du traité constitutionnel par la France et les Pays-Bas, inévitablement par la Grande-Bretagne et probablement par la République Tchèque, la Pologne et le Danemark mettra fin à l’entreprise constitutionnelle, lancée sous la présidence belge de l’UE il y a quatre ans.
Beaucoup d’analyses furent consacrées aux causes des verdicts référendaires négatifs. Le ras-le-bol des populations, en premier lieu de leurs propres gouvernements, a trouvé abusivement un exutoire dans les référenda européens qui furent ainsi détournés de leur objectif. Le référendum en France se transforma en 'Raffarindum'. L’opinion public a le droit de sanctionner ses gouvernants mais ce sont les élections nationales qui y sont destinées. Ce n’est pas tellement une constitution qui manque à l’Europe – tous les traités européens ont d’ailleurs une portée constitutionnelle – mais bien le leadership de dirigeants crédibles. Si en 1950, lors de la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (plan Schuman), l’on avait soumis cette initiative à des référenda en Allemagne et en France, elle eût sans doute été rejetée avec pertes et fracas et l’intégration européenne n’aurait  jamais démarré.
Que faire ?
1/ Afin de restaurer la crédibilité de l’entreprise européenne, il faut que les dirigeants européens s’attachent prioritairement à la solution des problèmes et des défis socio-économiques qui frappent la vieille Europe. L’Europe a besoin d’un impressionnant ‘projet de redressement’, présenté à son opinion publique et débattu devant le Parlement européen. Ce projet devra contenir (1) un volet économique (dans la logique de la stratégie de Lisbonne), répondant au défi asiatique et à l’avance américaine, (2) un volet social (qui permette d’accompagner solidairement et efficacement les transformations économiques nécessaires, avec un soin particulier pour le chômage, les soins de santé et les pensions) et enfin (3) un volet budgétaire qui devrait rendre possible l’implémentation du redressement souhaité. Ce n’est qu’après avoir conçu et défendu devant l’opinion publique un ensemble cohérent de mesures socio-économiques, qu’il conviendra de se poser la question s’il faut des réformes institutionnelles pour les réaliser.
2/ Je propose donc d’inverser la séquence et de situer d’éventuelles amodiations du fonctionnement de l’UE en fin de course d’un processus qui s’attelerait prioritairement à la solution des problèmes, qui sont à la base de l’angoisse des citoyens. Ainsi il n’est pas exclu qu’il faille à terme rendre plus facile la réalisation de la ‘coopération renforcée’, telle que prévue par le projet de Constitution en remplaçant l’unanimité au Conseil européen par une majorité qualifiée. Il serait aussi préférable de passer rapidement à l’introduction d’un mode décisionnel à deux tours (55% des états et 65% des populations) et d’abandonner le système compliqué arrêté à Nice. Les problèmes budgétaires seraient plus facilement résolus si le Parlement européen était doté d’une compétence fiscale limitée (quelques dizaines d’eurocents sur l’essence dans toute l’Europe pouvant suffire à financer une grande partie des dépenses de l’UE). Mais il est parfaitement concevable que beaucoup de mesures puissent être prises sans réformes institutionnelles.
3/ Si les instances européennes ne parvenaient pas à se mettre rapidement d’accord sur un ensemble impressionnant de mesures de redressement, il est à craindre que les gouvernements nationaux prendront des initiatives propres et cela dans l’incohérence. Il en résulterait une très dangereuse 'renationalisation' de certaines politiques aujourd’hui communautaires. Dans certains pays, à commencer par la France, une tendance néo-étatiste reprend le dessus, allant de pair avec des propositions interventionnistes et protectionnistes, incompatibles avec le maintien d’un marché européen unique et intégré. Les suggestions  préconisant une plus grande ingérence politique dans la Banque Centrale Européenne, p.e. en matière de taux d’intérêt, risque rapidement d’affaiblir l’Euro et à terme de menacer l’existence même de l’Union Monétaire.
4/ Un plan de redressement devra être soutenu et appliqué par les 25 pays membres. Si tel n’était pas le cas, il faudra que les pays qui voudront avancer, puissent le faire sur base de la formule de la ‘coopération renforcée’, telle que prévue par les traités d’Amsterdam et de Nice. Il n’est pas exclu qu’il faille constituer un noyau dur à l’intérieur de l’UE. Cela correspondrait à une idée que je défends depuis longtemps: un modèle Saturnien pour l’Europe, à savoir une grosse planète au milieu de l’Union, p.e. composée des pays de l’Eurozone, entourée d’anneaux c.à.d. de pays en transition convergente. Cette architecture rendrait en outre l’élargissement moins perturbant dans la mesure où les nouveaux venus se situeraient sur un ‘cercle’ de moindre intégration.
5/ Le modèle Saturne ne sera influent et crédible, particulièrement en matière de politique de défense et donc de politique étrangère, que dans la mesure où le centre soit rejoint par la Grande-Bretagne. Ce pays, qui prendra la présidence de l’UE à partir du 1 juillet 2005, pourra sous l’impulsion imaginative et habile de Tony Blair, jouer un rôle important dans le redressement de l’Europe. D’autant plus que le modèle anglais porte ses fruits sur le plan économique. Le temps n’est-il  pas venu de proposer aux Britanniques d’entrer dans la zone Euro sur base d’un compromis. Les Anglais pourraient garder la Livre, une monnaie qu’ils estiment essentielle dans leurs rapports avec le reste du monde (e.a.le Commonwealth) et étant donné l’importance de la place de Londres. En échange l’on accepterait qu’entre l’Euro et la Livre les parités soient définitivement fixées, impliquant évidemment une très forte convergence des politiques monétaires de la BCE et de la Banque d’Angleterre, en échange de quoi les Anglais pourraient entrer dans tous les organes de gestion de la zone Euro.
 
Espérons que l’échec de la Constitution puisse remettre l’imagination au pouvoir, un pouvoir visible et pédagogique et non pas abscons et démagogique, un pouvoir à visage humain et non pas une technocratie qui incarne le règne d’ON, un pouvoir qui dirige parce qu’il est crédible et qui convainc parce qu’il est convaincu de ce qu’il faut faire.