Etranger - Choisir l'Europe de l'avenir

La décision du Conseil des ministres européen d’ouvrir des négociations d’accession avec la Turquie et la Croatie est de nature à placer l'Europe, ses dirigeants et sa population devant un choix difficile entre l'Europe du passé et celle de l'avenir. Celle du passé, à partir du plan Schuman jusqu'à la fin de la guerre froide, a grandi d’une manière inédite grâce à une méthodologie totalement nouvelle (l'intégration économique et la méthode communautaire de Jean Monnet utilisées afin de rendre toute guerre intra-européenne définitivement impossible et de fonder la Pax Europea.) Mais depuis l'implosion du communisme et l'explosion de l'Union Soviétique, la situation internationale et continentale de l'Europe a été fondamentalement bouleversée. Une attitude défensive à l’intérieur de frontières bien protégées s’efface devant un esprit d’ouverture et une attitude offensive qui déplace les anciennes démarcations. Au point que l’Europe de demain se définira moins en des termes purement géographiques mais davantage à la lumière de valeurs partagées et assumées ensemble. La vocation historique du continent Européen au cours du 21ème siècle est d’être le levier d’une convergence intercontinentale, s’articulant autour d’une communauté de prospérité et basée sur l’établissement d’une communauté internationale de droit. Le renforcement de l'Europe est aujourd'hui et demain une condition essentielle à la réalisation de cet idéal. Mais cette Europe là, il faudra la réinventer.
Les citoyens de l'Union Européenne attendent des solutions aux problèmes qui les préoccupent et inquiètent: les délocalisations, le chômage, l’insécurité, les défis posés par le vieillissement de la population et l’évolution défavorable de la démographie, les atteintes à la qualité de la vie… L’approbation d’une constitution européenne n’est pas leur première priorité. Le redressement de la crédibilité des décideurs européens passe aujourd’hui par l’annonce et la réalisation progressive d’un vaste plan de relance – un plan de croissance économique et sociale – s’articulant autour de la stratégie de Lisbonne – faire de l’UE l’ensemble le plus moderne -  et proposant des mesures tendant à accompagner et à humaniser les grandes mutations socio-économiques en cours. L'UE sera de plus en plus confrontée aux conséquences de la globalisation et de la concurrence des nouveaux états industriels dont la Chine et l'Inde sont les porte- étendards. Un nombre de handicaps structurels en Europe menacent la durabilité de l'état de providence européen et le financement de la sécurité sociale, par ailleurs typique pour le modèle de société européen. La conservation des composantes essentielles de ce modèle exige toutefois un réajustement approfondi et il est évident que chaque politique de réforme sociale est facilitée dès lors que les instances européennes la recommandent et la coordonnent.
Ce n’est que dans le contexte d’un plan de relance qu’il faudra examiner si certaines améliorations institutionnelles doivent être apportées au fonctionnement actuel de l'UE. Il semble donc appropriée d’inverser la séquence: d'abord définir une nouvelle stratégie, faite de politiques, et ensuite, si nécessaire, adapter les méthodes de travail de l'Union. Peut-être faudra-t-il en premier lieu se pencher sur les lacunes du projet de Constitution. En effet aucune voie institutionnelle n’a été ouverte afin de permettre au Parlement européen de lever un impôt (indirect) européen, bien entendu sous des conditions très restrictives, afin de financer le budget de l’Union, lequel budget aujourd’hui est tributaire de l’approbation (difficile et douloureuse) de chacun des 25 pays membres. Une autre nécessité institutionnelle est de simplifier la ratification des nouveaux traités et là aussi de remplacer l’unanimité par une majorité qualifiée des membres du parlement européen et des états membres. Si un plan de relance ne faisait pas l’unanimité l’on pourrait dans le cadre des traités d'Amsterdam et de Nice faire appel à la coopération renforcée entre les états membres qui voudraient agir ensemble et qui constitueraient de fait une espèce d’avant-garde.
Quant à l’élargissement de l’Union je propose depuis longtemps de structurer la nouvelle Europe selon un modèle ‘Saturnien’, avec un noyau centripète d’états entouré de cercles de pays en transition vers une plus grande convergence. La planète Saturne étant constituée dans un premier temps par les ou certains membres de l’Union Monétaire Européenne. Une telle formule aurait le grand avantage de rendre plus phasé et progressive l’adhésion de nouveaux membres (bientôt la Bulgarie et la Roumanie; par après les pays issus de l’ex-Yougoslavie et en cas de négociations réussies la Turquie). Ainsi l’élargissement deviendrait plus un processus qu’une soudaine mutation.
En ce qui concerne l’Union Monétaire, force motrice de l’Union, appelée à prendre également des initiatives en matière de politique étrangère et de défense, il est
évident que l’adhésion du Royaume-Uni est plus que souhaitable, voire d’une extrême nécessité. Il est temps de reprendre le débat avec la Grande Bretagne, particulièrement dans le cadre d’une relance européenne. Les Britanniques, grands partisans d’un marché européen unique, doivent comprendre qu’ à terme des fluctuations de change entre la Livre et l’Euro sont de nature à perturber le bon fonctionnement de ce marché. Du côté continental il serait judicieux d’exprimer une certaine compréhension pour le désir des Anglais de maintenir la Livre dans le cadre de leurs relations avec les pays du Commonwealth et le rôle que joue la place de Londres au niveau mondial. Pourquoi ne pas envisager une politique de change conjointement gérée qui conduise à la fixation d’un parité irrévocable entre l’Euro et la Livre ? Dès ce moment le Royaume-Uni deviendrait membre à part entière de la Banque Centrale Européenne et des instances de l’Union Monétaire, tout en conservant la Livre.
 L'Europe est depuis l’implosion du communisme et la fin de la guerre froide un exemple de coopération et de gestion continentale, depuis le récent élargissement. Progressivement, suite surtout au flux continu de multiples développements scientifiques et technologiques, une coopération et une intégration intercontinentale plus intense s’imposera. Au fur et à mesure que les négociations commerciales et le fonctionnement plus efficace de l’Organisation Mondial du Commerce produiront des résultats probants, la possibilité, voire la nécessité, augmentera de mettre en place pas à pas une zone de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis. Cela conduira inévitablement, comme ce fut le cas en Europe, à la création d’une union douanière afin d’éviter un détournement des flux commerciaux. L’étape suivante étant l’élaboration d’une intense coopération économique, débouchant sur une communauté économique, avec les caractéristiques d’un marché unique. Mais un tel marché ne pourrait fonctionner que si l’on mettait fin aux fluctuations des cours de changes entre les monnaies concernées, en l’occurrence l’Euro et le Dollar. L’aboutissement logique de ce processus serait l’établissement d’une union monétaire atlantique ou AMU. Il s'agit indubitablement d'un grand dessein à long terme mais dont l’effet mobilisateur sur les relations transatlantiques et sur l’économie planétaire serait très considérables.